C’est tout un mandat que nous avons, nous, êtres humains, de cultiver la force du corps, la tranquillité de l’esprit et la bienveillance du cœur. Pour répondre à ce mandat, un des principes fondamentaux du Yoga est la Vérité (Yoga Sutras, Patanjali).
Dans le chemin du Yoga, on rencontre tôt ou tard nécessairement notre vérité, autant les espaces confortables et inconfortables qui nous habitent, nuit et jour. Desfois c’est un vide intérieur, d’autres fois, c’est une forme de souffrance.
Inévitablement, dans l’inconfort, émerge la question de la douleur. Car elle est parfois vive, toujours inévitable. J’utilise souvent le mot inconfort, qui semble moins dramatique que souffrance, à mon sens. Mais je dois avouer que tout inconfort, toute douleur est une forme de souffrance.
Elle est notamment physique, mais elle est aussi et souvent intérieure, visible ou invisible. Comment donc « bien-vivre » avec l’inconfort pour mieux vivre au quotidien ? C’est une des clés du bonheur durable et d’une tranquillité quotidienne.
Devant cette souffrance, j’avance inlassablement les deux principes fondateurs du Bouddhisme (qui puise dans les mêmes racines que la tradition yogique) que j’articule ainsi :
Ainsi, la souffrance intérieure n’est pas le propre de ceux qui sont malades ou de ceux qui ont subi de graves pertes. La souffrance est l’affaire de tous. Que l’on souhaite ou non le voir.
Il y a des époques où elle se manifeste de manière vive et, d’autres, où l’on peut l’oublier volontiers, car il y a plus urgent à faire. Mais elle est toujours là. Et quand elle ressurgit (que l’on soit pour où contre) et qu’il n’est plus possible de la mettre dans un tiroir fermé à notre conscience quotidienne, c’est le moment idéal pour apprendre à vivre avec notre souffrance.
Car en réalité, s’il n’y a pas de problème majeur qui nous oblige à la regarder en face, nous souhaitons plutôt l’ignorer. Je dois dire que c’est assez normal ! Pourquoi faire face à l’exigence de la souffrance si ce n’est pas nécessaire ! J’observe que c’est un phénomène courant que de vouloir la fuir pour rencontrer le bonheur. On pense que c’est en n’ayant plus de souffrance que l’on va vivre ce formidable bonheur sans failles, pour l’éternité.
Cela est plutôt un bonheur fragile, qui peut disparaître dès qu’une forme d’inconfort surgit. Les traditions yogiques et bouddhistes s’entendent pour dire que le bonheur se vit et se cultive aussi au travers de la souffrance.
Bien sûr, je ne veux pas dire ici que je conseille à toute personne dont la vie va formidablement bien de ranimer coûte que coûte le poids de la souffrance. Elle est importante à ne pas oublier. Un jour, on peut être au sommet du monde, le lendemain on peut être en mille morceaux en bas de la montagne. Certains sages yogis ont dit que peut importe notre condition, notre relation à nous-mêmes ne devrait pas changer. Idéalement elle devrait rester, entre autres, de l’ordre de la bienveillance et du contentement.
Souffrance et bonheur proviennent de l’intérieur. D‘abord et avant tout.
Nous fuyons facilement cette sensation en nous-mêmes (si possible), nous ne voulons pas la ressentir, nous ne voulons pas la voir. En réalité, nous en avons peur. Nous ne saurions que faire d’elle. Cela nous amène facilement à avoir peur de la souffrance en l’autres. À avoir peur de l’autre.
Souvent, pour l’éviter, nous la comparons et nous nous disons : « mais non, ce n’est pas si grave. Il y a des gens dans le monde qui souffrent bien plus que moi ! ». La question n’est pas là. On dévie notre attention sur les autres. La souffrance n’est pas comparable. Elle n’est pas moins importante parce que d’autres vivent des situations plus difficiles encore. Cette souffrance que l’on vit est celle que l’on vit. Ni plus ni moins. Oser la vivre, c’est oser se vivre sous toutes ses coutures.
Nous avons peur qu’elle nous avale et nous défigure. C’est souvent parce que nous ne savons pas comment l’aborder, comment lui dire bonjour, comment l’accueillir en nous-même. Nous avons l’impression qu’elle va nous condamner.
Léonard Cohen, sage auteur-compositeur-interprète de Montréal disait : il y a une faille en tout chose, c’est par celle-ci que la lumière entre.
Si nous osons apprivoiser cette « faille », si nous découvrons comment le faire, alors nous réalisons qu’elle peut être une alliée. Cela ne la rend pas nécessairement agréable. Oser vivre la souffrance est exigeant. Souffrir est douloureux. Mais nous en avons moins peur. L’idée de souffrir ne nous fait plus souffrir (!). Cette expérience laisse passer la lumière. La vie révèle de nouveaux éclats.
Ces deux principes sont les fondements de l’être humain, des êtres vivants. En se permettant de vivre et d’accueillir en nous la souffrance que l’on porte, on devient inévitablement plus sensible à celle des autres. C’est ainsi que l’on développe la compassion, un des visages de l’amour.
La compassion est le fait de « souhaiter à un être vivant de dépasser la souffrance, et d’agir en ce sens ». Cela peut s’adresser, entre autres, à un groupe de personnes, aux êtres vivants dans leur globalité ou encore à soi-même.
Cette compassion elle permet d’entrer en relation avec l’autre, avec toutes les facettes de l’autre, pas seulement celles qui tendent vers le bonheur. Elle permet une plus grande sensibilité, une plus grande écoute, une plus grande capacité à accueillir.
Je propose souvent à ceux qui vivent une souffrance vive d’oser ressentir cette souffrance. Il s’agit ainsi d’observer ce qu’elle fait dans le corps, comment elle résonne, et les pensées qu’elle crée. C’est une expérience sensorielle à découvrir. Observez sans juger, sans commenter, sans avoir peur de cette souffrance vive. Et puis si l’on a peur, si l’on juge… ne vous jugez pas de vivre cela.
La peur et la souffrance compriment, contractent, stressent. Ainsi, je propose toujours à tous de respirer dans ce qu’ils ressentent. En se concentrant sur l’expiration, le corps se détend inévitablement. L’esprit suit tôt ou tard. Inévitablement.
La respiration favorise l’attitude la plus importante devant toute forme d’inconfort : l’accueil. Est-il possible d’apprendre à accueillir la souffrance comme on accueille le bonheur ? Les deux font partie de l’existence.
Enfin, je propose toujours à ceux qui ont la souffrance trop intense, trop vive dans l’instant, d’y aller progressivement. Il n’y a pas d’urgence à aller au cœur des choses. Certaines souffrances sont si fortes si douloureuses (ou des accumulations de souffrances) qu’il n’est pas possible de les dénouer ou de les accueillir en respirant et en ressentant.
Beaucoup de souffrances à digérer et à apprivoiser doucement. Le meilleur exemple que j’ai (et je l’utilise pour chaque défi que la vie nous présente, comme apprendre à méditer), c’est celui du Petit Prince qui souhaite apprivoiser le renard. En six jours, l’enfant approche le renard, sans mots, sans geste. Il fait un pas de plus vers lui, chaque jour. Il n’est pas pressé, il sait que la rencontre se fera tôt ou tard.
Le chemin intérieur que je propose pour apprivoiser tout inconfort est donc celui-ci :
Devant la souffrance, il n’y a rien à faire si ce n’est qu’apprivoiser, et apprendre à aimer. Seulement alors, la souffrance peut être plus légère… parfois, petit à petit. Dans un placard, elle reste inconnue et menaçante.
Il y a une autre chose à faire devant la souffrance. Faire des choses qui nous font du bien.
Enfin, il y a un temps pour tout. Vient un temps où on a le courage de rencontrer la souffrance. Ce temps est toujours le bon, qu’il arrive tôt ou tard.
Et vous ? Quelle relation avez-vous avec votre souffrance, avec les inconforts qui vous habitent ? Entrez-vous en relation avec celle des autres ? Avez-vous des expériences, des révélations à partager ?
Cette réflexion est née dans le creuset d’ateliers avec des personnes atteints de cancer. J’écris cet article, car je souhaite simplement inviter chacun à être sensible à sa propre souffrance et, par écho, à celle des autres. Je souhaite aussi permettre à ceux qui ressentent vivement cela de réaliser qu’ils ne sont pas seuls à vivre cela. Alors chacun tend au bonheur sans éviter la souffrance. Rien n’est ignoré, on tend inévitablement au bonheur total ! Je souhaitais ici dédramatiser la souffrance, sans pour autant lui enlever toute la puissance et l’exigence qu’elle représente dans notre corps et dans notre vie. Et puis si tout le monde la vit sans peur ni honte, il y a de l’espace pour tout ce que nous sommes.
11 Comments
Merci Noemie pour cette belle reflexion. En se focalisant trop sur la recherche du bonheur, on oublie parfois que l’inconfort fait aussi partie de nous. En osant le vivre et l’acceuillir plutot que de le réprimer on cesse ce combat inutile pour laisser rentrer la lumière. Merci pour ce petit rappel :))
Bonjour Vincent ! En effet, cesser de combattre en soi pour accueillir l’inconfort est le meilleur moyen d’être libre d’orienter nos énergie là où c’est réellement bon pour nous, et pour les autres aussi, inévitablement ! Merci du fond du coeur pour ton message, au plaisir de te revoir ! 🙂
Bravo! C’est beau de te lire et ça fait du bien! Tu as su transposer le thème avec brio! je suis tout à fait d’accord avec toi! Merci!
Je suis ravie que ce texte t’aie fait du bien. Merci de ton message si enthousiasme !
Merci pour cet article. Vous avez raison, la souffrance quel qu’elle soit ne doit ni être occultée ni être le centre de notre vie, l’apprivoiser, ne pas lui laisser toute la place semble être le seul chemin.
C’est la voie du milieu dit-on ! Merci à vous !
Très intéressant, vrai et sage cet article, on doit accueillir et accepter notre propre par d’ombre pour accepter celle des autres avec compassion, belle révélation! Merci pour ce beau partage Noémie 🙂
Merci pour ce message Mylène ! On voit souvent l’ombre comme une mauvaise chose, mais c’est un terreau si incroyablement fertile ! 🙂
C’est un très bel article. Authentique. Qui rappelle à chacun qu’il faut s’accepter pleinement avec ces parts d’ombres et embrasser les challenges que nous rencontrons. Merci.
Bonjour Letizia ! Merci pour ce retour ! On oublie souvent que ces « ombres et ces défis font partie de la vie et, souvent, quand on plonge dans le Yoga on aspire à une vie libérée des « ombres » et des défis… mais cette libération vient lorsqu’on les accueillent complètement, et cela ne veut pas dire qu’elles disparaissent. Cela demande une attention si entière ! 🙂 Merci toujours de tes commentaires. AU plaisir !
619z1n